2.10.07

La dirigeante


Épisode n°3 : Question(s) sans réponse

◦◦◦ 07:00 ◦◦◦
(Un réveil difficile)

Philippe dort d’un sommeil profond dans la petite chambre que Geneviève, la cousine de sa mère, met à sa disposition chaque fois qu’il vient à Paris. Cette quinquagénaire dynamique qui ne s’est jamais mariée, est avocate dans une association de consommateur. Dans la famille, tout le monde la surnomme la « jeune vierge », en partie à cause de son prénom, mais surtout à cause de son allure de femme modèle à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession. Si certains surnoms s’avèrent bien appropriés, on ne peut pas dire que ce soit le cas pour Geneviève. Dans ce domaine elle agit en femme indépendante et décidée, sachant rester discrète, mais redoutablement efficace.

Il est sept heures. Le pas mal assuré, Philippe se dirige vers la douche de sa cousine. Elle n’a pas la puissance qu’avait celle du petit hôtel de Saint-germain des Près où il a passé le début de la nuit avec Christa, mais peu importe, c’est pour lui le plus sûr des réveils.

Cette journée est à marquer d’une croix par Philippe. Il doit présenter, en début de matinée, son logiciel de devis descriptif rapide à un panel du monde de l’habitat individualisé dans les locaux de la Fédération du bâtiment.

◦◦◦ 07:30 ◦◦◦
(Le petit déjeuner avec Geneviève)

Une fois lavé et habillé, Philippe se rend dans la cuisine pour prendre son petit-déjeuner en compagnie de sa cousine Geneviève. Elle l’accueille, comme à l’accoutumée, avec son petit sourire ironique en coin :

— Bonjour, Philippe, tu n’as pas l’air d’être en grande forme ce matin.
— Et pourtant il faut que je le sois, aujourd’hui c’est un jour super important pour moi.
— Pour la présentation de ton logiciel ?
— Oui, devant une vingtaine de personnes.
— À quelle heure ?
— À neuf heures et demie.
— Il te reste encore un peu de temps devant toi. Prends donc calmement ton petit déjeuner, ça te détendra.

Philippe prend en premier un grand bol de café noir, sans sucre et sans parler. C’est pour lui le grand coup de fouet du matin, le moyen de retrouver tous ses esprits. Ce n’est qu’après ce pseudo rituel qu’il peut s’adresser à Geneviève un peu gêné :

— Ce soir j’ai un très grand service à te demander… si tu es disponible.
— Dis toujours…
— J’ai rencontré une femme super sympa avant-hier. Il faudrait que tu puisses aller la chercher en taxi au Sofitel vers neuf heures ce soir.
— Et pourquoi tu ne le fais pas toi-même ?
— L’histoire est un peu compliquée… c’est une syndicaliste allemande connue… elle a une cinquantaine d’années… elle veut rester discrète… elle a peur d’être reconnue…

Geneviève est surprise par la demande de son jeune cousin. Elle a du mal à comprendre que sortir avec une femme puisse poser autant de problèmes. Étant sur le point de partir à son travail, elle lui répond :

— Je n’ai pas le temps d’en parler avec toi maintenant, il faut que je file travailler. Tu rentres à quelle heure ce soir ?
— Vers sept heures au plus tard.
— Moi aussi. On discutera calmement de tout ça autour d’un apéro.
— Merci, Geneviève, c’est vraiment sympa.
— À ce soir, Philippe. Je te dis « merde » pour ta démo… Et surtout n’oublie pas de tout fermer en partant.

Geneviève partie, Philippe doit maintenant se consacrer au véritable objet de son voyage à Paris, sa rencontre avec les Professionnels du petit bâtiment et de l’habitat individualisé. Un seul objectif : une présentation brillante de son logiciel de devis descriptif, révolutionnaire par sa rapidité

◦◦◦ 08:45 ◦◦◦
(La présentation du nouveau logiciel)

Philippe est fin prêt : ordinateur, cordons, rallonges, documentation, tout y est. Philippe se surprend dans le métro à penser davantage à Christa qu’à sa future conférence. C’est vrai que le monde du bâtiment, du moins en France, comprend très peu de femmes.

En arrivant dans les locaux de la Fédération du bâtiment, Philippe est accueilli par une grande femme châtain aux cheveux très courts qu’il prend au premier abord pour la secrétaire :

— Vous êtes Philippe, l’informaticien de Sète qui vient présenter son nouveau logiciel de devis descriptif rapide ?
— Oui, tout à fait.
— Soyez le bienvenu. Je m’appelle Sabine et je suis la déléguée générale informatique de la Fédération.
— Je ne m’attendais pas à trouver une jeune femme de mon âge dans ce monde plutôt masculin et macho.
— Voyez-vous, je suis l’exception qui confirme la règle.

Pour Philippe, c’est une heureuse surprise d’avoir à faire à une jeune femme d’un abord agréable pour diriger la présentation. Faire passer ses nouveaux concepts de calcul rapide de devis descriptif lui sera sans doute plus facile.

Sabine dirige les débats avec une rigueur et une fermeté qui surprennent et satisfont toute l’assistance. La journée passe très vite. Philippe n’a pas pu dévoiler le dixième de ce qu’il comptait faire, tant les questions ont été nombreuses et délicates à traiter. Aux problèmes complexes purement techniques, s’en est ajouté un auquel Philippe ne s’attendait pas réellement. La rapidité de calcul de son logiciel semble contrarier fortement de nombreux Professionnels du secteur. Bousculer des habitudes bien ancrées par des techniques innovantes, va s’avérer beaucoup plus subtil que prévu.

À plusieurs reprises Philippe repense à Christa, non pas en tant que partenaire de ses plaisirs enflammés, mais en tant que dirigeante d’entreprise aguerrie. Avec son expérience des affaires et sa force de persuasion, elle calmerait d’entrée de jeu les grincheux et les détracteurs de tout poil. Pour Philippe une seule décision s’impose, en parler ce soir même avec celle qui se dit avoir les fesses « un peu trop grosses ».

La conférence terminée, Philippe prend congé de Sabine. Il doit une fière chandelle à cette jeune femme qui a su jouer de son charme avec habileté :

— Sabine, un grand merci pour la façon dont vous avez dirigé toute cette journée.
— Je n’ai fait que mon métier.
— Et peut-être un peu plus. Je ne pensais pas avoir à faire à autant de coincés de l’innovation.
— C’est vrai que certains se bloquent face à certaines idées dites novatrices. Et vous, Philippe, vous y mettez le paquet. Vous faites en quelques secondes ce que les autres font en deux heures ou plus. Vous voulez les renvoyer à l’école ? Mais à leur âge, certains n’ont peut-être pas envie d’y retourner, mettez-vous à leur place.
— Vous avez sans doute raison.
— Vous savez, je commence à les connaître, je les côtoie tous les jours…
— J’aimerais bien profiter de vos connaissances du secteur.
— Oui, appelez-moi quand vous voulez, ça me fera plaisir d’échanger avec vous.
— Mille fois merci. Si vous passez dans le sud, ça me fera très plaisir à mon tour de vous invitez à déguster quelques douzaines d’huîtres à Bouzigues… C’est sur le bord de l’étang de Thau, en face de Sète.
— Avec de tels arguments, Philippe, vous ne me laissez pas beaucoup de prétextes pour refuser.

Philippe quitte les locaux de la Fédération en ayant pris soin d’échanger sa carte de visite avec l’ensemble des participants. Sur le chemin du retour, il repense à cette longue journée, mais son esprit est déjà repositionné sur sa soirée avec Christa.

◦◦◦ 19:00 ◦◦◦
(L’apéritif chez Geneviève)

En arrivant chez sa cousine Geneviève, Philippe constate que tout est fin prêt pour l’apéritif :

— Pose ta veste et assieds-toi, Philippe… Alors raconte-moi, comment s’est passée ta journée ?
— En fait un peu difficile, j’ai un énorme boulot de persuasion Tout Corps d’État à faire. Par contre, j’ai eu de la chance, la personne qui s’occupe de l’informatique est une jeune femme qui a sensiblement le même âge et le même diplôme que moi. Avec elle, le courant est super bien passé.
— Bon, et bien tant mieux. Je m’étais faite du souci pour toi. Le monde du petit bâtiment n’est facile ni à pénétrer, ni à convaincre.
— Ça, je m’en suis aperçu.

Connaissant par cœur les goûts de Philippe, Geneviève se lève et lui sert un double whisky pur malt, avec un seul glaçon.

— Merci Geneviève. Allez, « tchin », à ta santé.
— Et bien à ta santé, Philippe, et surtout à ton logiciel…
— …
— Mais revenons à ton histoire de ce matin, tu as dragué une femme de mon âge ?
— Euh, oui ! Accidentellement… À l’occasion d’un dîner de travail organisé par la boîte où travaille Marc, un de mes bons copains d’école.
— C’est vrai que tu es coutumier de la chose. Ton amie Isabelle a bien une dizaine d’années de plus que toi ?
— Oui, mais rappelle-toi, quand je l’ai rencontré, j’ai complètement flashé pour elle. C’est une femme superbe et elle parle en chantant.
— Ah ça oui, sur ce dernier point je suis d’accord, elle ne peut pas nier ces origines Sétoises.

C’est en prenant lui-même un accent du midi caricatural que Philippe répond à sa cousine :

— Eh, oui, peuchère !
— Quand je me sentirai un peu seule et que tu remonteras sur Paris, j’oublierai de préparer ton lit dans la chambre d’ami.
— Dis donc la jeune vierge, est-ce que tu en profiterais pour me draguer, par hasard ?
— Si nous étions libres tous les deux pourquoi pas. Passer une nuit endiablée avec mon jeune cousin, ne me fait pas plus peur que ça. Mais dans les faits la question ne se pose pas puisque tu n’es pas libre… et qu’à priori moi non plus.

Cet échange léger terminé, le ton de la discussion change du tout au tout. Philippe décrit avec rigueur, mais avec la réserve nécessaire et sans détails inutiles, le cours des évènements de ces deux derniers jours. Il insiste sur la peur de Christa d’être reconnu en sa présence, et sur sa phobie de faire l’objet d’un article dans la presse à sensation.

— Ne t’inquiète pas pour ta nouvelle amie. Je te rendrai ce service.
— Je l’ai prise en photo avec mon mobile.
— Toute nue dans la chambre d’hôtel ?
— Non, tu plaisantes, toute habillée à la petite table de la chambre et dehors.

Philippe sort son téléphone portable, recherche les photos de Christa présentables et les montre à sa cousine :

— Je vais prendre mes lunettes, mais on distingue mal sur un téléphone.
— Tu as raison, je vais tout transférer sur mon micro. Tu pourras voir les photos en plein écran, c’est beaucoup plus visible.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Philippe met son micro en route, charge le programme et effectue le transfert. Une fois les photos visibles à l’écran, il se tourne vers Geneviève et lui dit :

— J’ai un petit creux, je vais aller acheter à l’épicerie arabe du coin des petits boudins antillais. Pendant ce temps, regarde les photos de Christa qui sont à l’écran.
— Profites-en pour ramener un peu de fromage.
— Ok ! À tout de suite.

Après le départ de son jeune cousin, Geneviève peut regarder tranquillement les photos de Christa sur l’ordinateur. En voguant à gauche et à droite, elle finit par tomber accidentellement sur les photos de Christa provocantes et suggestives dans sa plus stricte intimité. Elle l’annonce à Philippe dès son retour, en s’excusant très gênée :

— J’ai voulu passer d’une photo à l’autre et, sans le faire exprès, je suis tombée là où je n’aurais pas dû.
— Tu l’as vu… sans rien ?
— Oui, vraiment sans rien, c’est le moins qu’on puisse dire… et pas particulièrement troublée non plus. Elle qui craint les journaux à scandale, elle a vraiment confiance en toi.
— Je crois que ça relève du coup de foudre.
— En tout cas, elle est plutôt bien bâtie ta gretchen.
— Et bien, dis donc, Geneviève, ton vocabulaire fait vraiment d’un autre temps.
— Le vocabulaire, peut-être ; mais pas la femme… Elle fait facilement dix ans de moins que son âge… En réalité elle ne fait même pas la quarantaine.
— Je ne te le fais pas dire.
— J’ai peur que tu rentres un peu dans les « emmerdes ». C’est Isabelle qui va faire la tête quand elle l’apprendra.
— Tu crois que je n’aurais pas dû ?

Geneviève se donne quelques secondes de réflexion avant de répondre sur un ton très posé :

— Cette histoire, je m’en mêlerai le moins possible. N’oublie pas de tout prendre en compte : d’un côté Isabelle et sa fille, et de l’autre ta nouvelle amie Christa. Ne lâche pas la proie pour l’ombre.
— Tu crois qu’Isabelle pourrait tolérer une autre femme ?
— Quoi ? Tu veux garder les deux ?
— Si c’est possible, pourquoi pas. Mais je ne sais pas comment… Ça te choque ?
— Oh, Philippe ! Aujourd’hui, plus rien ne me choque. Mais je ne m’attendais pas à ce que tu veuilles partager une tranche de ta vie avec deux femmes dans la force de l’âge.

Philippe ne répond pas. Comme le temps passe vite, il propose à sa cousine de la prendre en photo avec son téléphone mobile et de les transférer à Christa. Geneviève est d’accord, mais à une triple condition préalable : prendre une bonne douche, mettre des vêtements plus adaptés aux circonstances, et surtout se refaire une beauté. Pour une femme, envoyer sa photo à une autre femme, n’est pas un acte anodin.

Geneviève part se préparer. Elle revient habillée d’une manière plus provocante que de coutume : une petite robe unie bleu nuit qui s’arrête bien au-dessus du genou et la rend particulièrement séduisante. Dès qu’il l’aperçoit, Philippe lui déclare sur un ton admiratif :

— Geneviève, tu vas allumer tous les collaborateurs de Christa.
— C’est bien ce que je compte faire, autant profiter des circonstances.

La séance de photos peut commencer. Geneviève prend des poses sérieuses et étudiées. Elle est à la fois excitée et surprise par cette situation inhabituelle qui lui fait découvrir son jeune cousin sous un angle franchement nouveau. Elle ne l’a pas vu grandir. Dans sa tête il était toujours resté le jeune « Philou » préférant la compagnie des adultes à celle des enfants de son âge.

— Allez débarque, Geneviève, reviens sur terre ! J’ai envoyé tes photos les plus sexys à Christa sur son mobile. Elle te reconnaîtra au premier coup d’œil.
— Ah, bon !
— Dis donc, tu penses à quoi, tu as l’air complètement dans les « vapes » ?
— À toi, tout simplement…
— …
— J’appelle un radio-taxi et on file chercher ta dulcinée au Sofitel

Dix minutes plus tard, le radio-taxi est au bas de la porte. Philippe emporte avec lui son ordinateur portable. Entre deux parties de jambes en l’air, il compte bien prendra le temps de faire à Christa une démonstration de son logiciel de devis descriptif « up to date ».

◦◦◦ 20:45 ◦◦◦
(L’enlèvement de Christa)

En montant dans le taxi Philippe prend conscience du nombre incroyable d’évènements qu’il est en train de vivre depuis deux jours. Le restaurant de la porte Maillot, la grande ballade dans Paris, le restaurant grec, le petit hôtel de Saint Germain des Près et la démonstration de son logiciel. Maintenant il se retrouve assis dans un taxi à côté de sa cousine Geneviève, dans le cadre d’une opération commando destinée à extraire Christa de son équipe de collaborateurs. L’enlèvement de la femme désirée comme dans certains pays du Caucase en quelque sorte.

À quelques centaines de mètres du Sofitel, Philippe se fait déposer dans un café du boulevard Victor, devant l’ancien ministère de l’air, juste en face du monument commémoratif de Georges Guynemer. Philippe se met à penser à cet homme, chétif et souffreteux, dont il a lu la destinée incroyable. Refusé dans l’infanterie et la cavalerie, il avait réussi, à force de persuasion, à se faire engager comme mécanicien dans l’aviation naissante. Peu de temps après, il devenait pilote, mais quel pilote : le symbole des ailes françaises de la première Guerre mondiale, un vrai chevalier du ciel.

Geneviève poursuit seule le court trajet restant. Arrivée au Sofitel, elle demande au taxi de patienter une dizaine de minutes le temps d’aller chercher une amie. Elle s’annonce à l’accueil, un membre du personnel la fait descendre dans la salle de réunion qui se trouve en sous-sol. En entrant, elle reconnaît sans difficulté Christa qui l’embrasse et s’adresse à elle très discrètement :

— Vous êtes sûrement Geneviève, la cousine de Philippe ?
— Oui.
— Merci d’être là, je monte me changer et je redescends. Attendez-moi ici, je n’en ai que pour quelques minutes.
— Allez-y Christa, prenez votre temps.

Un collaborateur de Christa, la quarantaine affirmée et le physique très sportif, s’approche de Geneviève. Il lui parle en anglais de la longue journée que les deux femmes ont passé la veille ensemble. Il aurait aimé lui aussi, à leur instar, faire des études dans une ville si attachante. Geneviève se félicite que Philippe lui ait décrit en grande partie l’itinéraire. Elle peut répondre du tac au tac à son interlocuteur dans la langue de Shakespeare qu’elle manie plutôt bien pour une française de cette génération :

— Vous savez j’adore faire de grandes ballades à pied dans un cadre agréable… et les bords de Seine à Paris en sont un.
— Je viens quelques fois à Paris et j’aimerais bien vous avoir comme accompagnatrice quand je reviendrai.
— Si je suis libre, je ne vous dis pas non.
— Vous êtes très élégantes… les femmes françaises sont très élégantes.
— Merci pour le compliment.

Christa réapparaît avec le même tailleur, mais avec des chaussures à talons moins hauts et visiblement plus confortables. Elle salue ses collaborateurs et quitte la salle de réunion bras-dessus-bras-dessous avec sa « vieille amie de fac de toujours » :

— Geneviève, c’est très gentil de votre part d’être venue me chercher ici, dans cette salle de travail.
— Je l’ai fait pour rendre service à mon jeune cousin.
— Philippe est un garçon original et brillant.
— Mais c’est surtout le séducteur d’une femme que je trouve très distinguée.
— Sur ce point là, Geneviève, vous n’avez pas grand-chose à m’envier.
— Arrêtons de nous faire des compliments, Christa, et allons-y. Philippe doit commencer à s’impatienter.

Geneviève remonte dans le taxi en compagnie de sa « vieille amie de fac ». Les deux femmes reprennent Philippe au passage. Arrivée devant son domicile, Geneviève descend et propose aux deux nouveaux tourtereaux de venir prendre un whisky chez elle. Philippe décline l’invitation, car il est déjà bien tard.

Geneviève partie, Christa embrasse Philippe avec fougue dans le taxi et lui déclare :

— Le temps m’a paru bien long, sans toi.
— Pour ne rien te cacher, à moi aussi.

◦◦◦ 21:30 ◦◦◦
(Les vitraux « art nouveau »)

Arrivés devant l’église de Saint Germain des Prés, Philippe demande au taxi de les déposer. Christa règle la course et descend en premier. Dans l’action, sa jupe remonte et laisse largement découvrir des jambes gainées de fines dentelles. Philippe les regarde et déclare « tout de go » :

— Tu as des collants en dentelle vraiment magnifiques.
— Ce ne sont pas des collants, ce sont des bas… des bas résilles et dentelle qui tiennent tout seul.
— Oh, ça alors ! Christa porte des bas-jarretières.
— Je les ai achetés pour toi aujourd’hui, tu devrais aimer, tous les hommes adorent ça.
— Christa, ça me donne une idée géniale, une idée de folie.
— Quelle idée ?
— Suis-moi, c’est une surprise.

Philippe prend Christa par le bras et se dirige vers une rue située derrière l’église Saint Germain des Près :

— Tu m’emmènes dans un petit restaurant sympa ?
— Pas tout de suite, ma belle blonde. Sois patiente. Je viens de te le dire, c’est une surprise.

Philippe montre à Christa un magnifique petit immeuble du début du 18e siècle donnant dans une impasse. Le lieu semble irréel, hors du temps. On s’attendrait presque à tomber, au coin de la rue, sur une bande de rodeurs corrigés à l’épée par des gentilshommes en tenue d’époque. La porte d’entrée, en bois massif, est finement sculptée. Philippe s’approche, compose un code sur un boîtier à peine visible et la magnifique porte s’ouvre :

— Mais, Philippe, où va-t-on ?
— Dans cet immeuble. Au dernier étage, il y a un bureau d’études d’électricité industrielle, c’est un de mes clients, c’est moi qui ai fait leur base de données.
— Et tu rentres comme ça chez eux ?
— Bien sûr, mais n’ai pas peur ! S’il restait quelqu’un dans les bureaux, on le verrait d’ici, ça serait allumé.
— Mais tu n’as pas vraiment répondu à ma question, que vient-on faire ici ?
— Tout simplement admirer une cage d’escalier entièrement éclairée avec des vitraux 1900. Ils ont été réalisés à l’époque par un jeune verrier, un ami de Gruber et de Gaudi… Un garçon extraordinaire… Pour moi c’est un petit chef d’œuvre de « l’art nouveau ».
— Gaudi, je connais, c’est l’architecte qui a fait la Sacrada Familia à Barcelone. Mais Grubert ?
— Grubert, ou plutôt Maître Grubert était un Verrier de l’école de Nancy. Il a fait beaucoup de grandes verrières, des vitraux d’église et des cages d’escaliers. C’était un fou de l’harmonie, des couleurs et des fleurs. J’adore ce que lui et toute sa bande de copains ont fait.
— Philippe, tu as au moins un point commun avec le garçon avec qui je sortais quand je faisais mes études à Paris.
— Non, Christa ! Tu es modeste, nous en avons au moins deux. Tu as oublié l’endroit où on s’est embrassé la première fois.
— Tu as raison, je ne pensais plus aux fontaines du Trocadéro.
— On ne va pas allumer la minuterie. On verra très bien les vitraux une fois dans l’escalier. Le seul éclairage de la rue suffit.
— Tu vas me faire monter combien d’étages à pied ?
— Trois seulement.
— Je voulais te dire une chose, Philippe, tu n’es pas le seul à connaître l’art nouveau. N’oublie pas que je suis resté six années à la fac de Dauphine. Tous les jours je prenais le métro à la porte Dauphine pour y aller. Cette station a été faite par Guimard en « style pavillon », c’est aussi un petit chef d’œuvre de l’art nouveau… je crois même que c’est la dernière station de ce type à être encore debout aujourd’hui.

Christa et Philippe montent lentement les escaliers. Au dernier étage, devant la porte d’entrée imposante du bureau d’études, se trouve un magnifique banc d’époque, aux pieds très travaillés, et recouvert de velours rouge sombre. Philippe propose à Christa de s’y asseoir. Surprise par cette proposition, elle lui répond très naïvement :

— Je ne suis pas fatiguée, on peut redescendre. C’est vrai que ces vitraux sont magnifiques. On est dans un quartier où il y a tellement de jolies choses cachées.
— Je ne t’ai pas demandé de t’asseoir sur ce banc parce que tu es fatiguée, mais pour faire connaissance avec le haut de tes bas.
— Ah, c’est pour ça que tu m’as amené ici. Les vitraux ne sont qu’un prétexte… À faire des bêtises, tu ne préfères pas attendre qu’on soit confortablement installé à l’hôtel.
— Non, j’ai envie de te violer tout de suite.
— Tu crois que ça va être un viol ?
— Fais au moins semblant : crie, hurle, contracte-toi, débats-toi… ici personne ne t’entendra.
— Je ferai de mon mieux.
— Avant tout, à moi l’honneur d’enlever ta petite culotte.

Philippe pose la sacoche de son micro-ordinateur avec beaucoup de précautions au pied du banc puis, dans la précipitation, jette sa veste par terre. Pendant ce temps, Christa s’assied calmement à une extrémité du banc, puis s’allonge sur le dos. Philippe peut découvrir une petite culotte magnifique tout en broderie et dentelle. Il l’enlève avec beaucoup de délicatesse, comme si c’était un objet précieux. Christa remarque son trouble et lui dit avec une satisfaction non dissimulée :

— Tu vois Philippe, ma petite culotte est entièrement en dentelle avec des iris brodés. Je l’ai aussi achetée pour toi aujourd’hui.
— C’est incroyable, Christa, les dentelles de ta petite culotte sont complètement assorties aux décors des vitraux de la cage d’escalier. On dirait que c’est fait exprès.

Christa se redresse, déboutonne sa veste de tailleur et annonce avec une voix très coquine à Philippe :

— Et mon soutien-gorge aussi.
— Remets-toi comme tu étais avant, j’ai envie de t’embrasser au milieu de toute cette dentelle, « là où c’est interdit ».
— Philippe, pour toi rien n’est interdit.
— Vraiment rien ?
— Viens sur moi et fais-moi l’amour, tu joueras avec moi plus tard, j’ai trop envie de toi… et tout de suite.
— Sois patiente… juste un petit peu… moi j’ai envie de jouer avec ton minou avant, il a l’air juste à point.

Philippe se met à genou, il est juste au niveau des parties les plus féminines de Christa qui visiblement n’attendaient que cela. Il lape ses grandes lèvres qui sont en eau, il aspire son clitoris et le mordille avec les dents, puis il se délecte avec sa langue dans son puits de plaisir. Dans un premier temps, Christa se laisse aller, sans rien dire. Puis, sans prévenir, elle repousse la tête de Philippe avec ses mains et lui redemande avec insistance :

— Viens sur moi tout de suite et fais-moi l’amour. J’ai tellement envie de toi… une envie à hurler.

Philippe relève la tête. L’impatience de son amante crève les yeux. Il baisse son pantalon et son slip, agrippe Christa par les hanches et la pénètre lentement, avec jubilation, mais sans penser à prendre la moindre précaution. Il est dans un univers de chaleur, de bien-être et d’onctuosité. Christa pose ses jambes sur ses épaules. Cette position associée aux bas-jarretières semble très indécente à Philippe et l’excite au plus haut point. Christa tente de le modérer pour que la fin n’arrive pas trop vite :

— Prends ton temps, Philippe, prends tout ton temps, je veux profiter au maximum de toi.

Philippe rêve. Il regarde sa grande blonde, débraillée, la veste ouverte, les bras tombant, mais curieusement avec le visage très détendu, comme si elle était ailleurs, dans un songe, comme si son esprit avait quitté son corps. Tout d’un coup, Philippe reprend conscience, il se raidit et s’écrit bruyamment :

— Oh, merde ! Je n’ai rien mis pour… pour…

Presque instantanément Christa sort de sa douce torpeur et lui répond :

— Pour faire l’amour ?
— Euh, oui !
— Tu ne crains rien avec moi, Philippe. La dernière fois que j’ai fait l’amour sans rien, c’était il y a deux ans avec mon mari. Depuis j’ai toujours pris des énormes précautions. Tu peux me faire confiance.
— Et toi… tu n’as pas peur avec moi ?
— Non, à cause d’Isabelle et de sa fille. Tu ne veux pas en faire une malheureuse ou une orpheline ?
— Non, bien sûr que non.
— Alors continue de me faire l’amour, lentement, très lentement… Pense à mon plaisir, je penserai au tien… J’aime tellement te sentir dans mon ventre, comme ça, sans rien… Prends ton temps chéri, prends tout ton temps… et ne dis plus rien.

Philippe contemple le corps si calme de son amante. Son esprit se remet à vagabonder. Le silence, les vitraux et cette atmosphère étrange lui font revenir en tête ces vers de Baudelaire dans « l’invitation au voyage » :

« Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté. »

Philippe ressent, peut-être pour la première fois de sa vie, que son corps est complètement au diapason avec un autre corps, sans violence, sans cris, sans le moindre détail qui ne puisse perturber ce luxe, ce calme et cette volupté.

— Rejoins-moi, Philippe, viens, n’arrête pas, je vais jouir…

Christa jouit en regardant Philippe, en prenant son temps, tout son temps, son visage est calme et apaisé. Sa jouissance est intérieure, non extériorisée, seulement trahie par quelques petites contractions, mais sans plus. Une incroyable détente, du bien-être, de la joie. Un seul grand signe extérieur, les parties intimes de Christa et ses cuisses sont trempées, inondées, un peu comme à la sortie d’un bain. La grande trace sur le banc en est la preuve incontestable.

Cette forme de jouissance complètement maitrisée, à laquelle Philippe ne s’attendait pas, provoque chez lui une immense excitation. Quelques minutes plus tard, c’est à son tour d’atteindre son nirvana, mais sans aucun pouvoir sur son corps, à l’inverse de Christa. Avec précipitation il saisit les cuisses de cette femme, si calme intérieurement, et les écarte du plus fort qu’il peut, pour jouir au plus profond de son ventre. Christa se laisse faire, imperturbable. Elle maîtrise complètement les réactions de son jeune amant et la violence du plaisir qu’elle lui procure.

◦◦◦ 22:00 ◦◦◦
(Les premières révélations de Christa)

Christa est très satisfaite de cette expérience. Quelques instants plus tard, elle déclare à Philippe avec un flegme copié sur les britanniques :

— Merci Philippe chéri. Tu vois, quand on a terriblement envie de quelqu’un on peut avoir un plaisir incroyable, sans prendre des positions impossibles. Je te l’ai dit hier, j’adore faire l’amour tout simplement comme on vient de le faire.
— Oui, mais dans un lieu assez extraordinaire et avec des vitraux assortis à tes sous-vêtements.
— C’est vrai, cela ne gâche rien.
— Christa, comment fais-tu pour faire l’amour aussi calmement, sans rien laisser paraître ?
— C’est loin d’être un secret, je fais du judo et du yoga depuis très longtemps.
— Depuis le lycée ?
— Non, bien avant pour le judo, quand je suis rentrée à l’école primaire. Et pour le yoga, bien après, quand je suis entrée en fac. Je n’ai jamais arrêté depuis.
— Moi j’ai fait un peu de judo quand j’étais au lycée pour me faire respecter, mais j’ai tout arrêté après ma ceinture verte.
— Moi je suis ceinture noire 2e Dan, mais je ne fais plus du tout de compétitions depuis que j’ai été enceinte de mon fils.

Philippe est extrêmement surpris par ce qu’il vient d’entendre. Cette révélation lui permet de comprendre pourquoi Christa est aussi bien bâtie et paraît si jeune : son activité sportive régulière en est très certainement l’explication :

— Christa, je suppose qu’une femme comme toi n’est jamais embêtée dans la rue ?
— Non ! Ni dans la rue, ni ailleurs.
— Tu as déjà mis en pratique tes connaissances en judo ?
— Non, je n’ai jamais eu à le faire. Le judo est un sport de dissuasion, pas d’attaque.
— J’aurais dû réfléchir à deux fois avant de te donner une fessée, hier… Ce qui me surprend, c’est que tu te sois laissé faire, sans réagir.

Christa ne répond pas tout de suite. Elle regarde Philippe avec un regard très doux, presque maternel avant de lui déclarer :

— Peut-être parce que j’avais été odieuse… peut-être parce que je n’avais pas envie de te perdre… peut-être parce que je trouve ça excitant… peut-être parce que j’ai pensé que tu trouvais ça excitant… peut-être parce que la situation le voulait… ou peut-être un peu de tout ça à la fois.
— Et ton suçon sur le sein, il est encore visible ?
— Non, c’est fini. Je n’avais plus rien en quittant l’hôtel tout à l’heure.
— Tu es vraiment une curieuse bonne femme.

Christa se relève, prend dans ses bras Philippe qui n’a pas encore eu le temps de remonter son pantalon et l’embrasse lentement avec un mélange de passion et de tendresse. Le baiser terminé, elle lui fait un petit sourire énigmatique et lui dit :

— On vient de faire l’amour et j’ai encore terriblement envie de toi.
— Tu veux qu’on remette ça ici, tout de suite ?
— Non ! C’est dans ma tête que j’ai envie de toi. Garde tes forces pour tout à l’heure.

Christa se dirige discrètement vers l’autre extrémité du banc pour s’essuyer et se rhabiller. Philippe en fait de même puis ramasse sa veste qui était par terre et la renfile tout en disant :

— Maintenant on peut aller manger, cet exercice m’a donné une faim de loup.
— On va d’abord passer par l’hôtel, je veux prendre une petite douche en vitesse… je prends toujours une douche quand j’ai fait l’amour.
— Et si on était en forêt, comment tu ferais ?
— En forêt ?
— Eh oui !
— Si c’est avec toi, je ferai une exception. Je n’ai pas refait l’amour en forêt depuis que j’ai fini mes études.
— Ton mari n’est pas du genre « nature et liberté » ?
— Non ! sur ce plan-là, il est… non, il était très conservateur.
— Ou plutôt coincé ?
— Oui, en quelque sorte.

En contemplant une dernière fois ce banc où il vient de faire l’amour, Philippe se lance, pour frimer, dans une grande envolée lyrique dont il pense être le seul à en détenir le secret :

— Et bien vois-tu, ma chère Christa, je suis ravi de t’avoir débauchée dans une cage d’escalier historique, éclairée par des vitraux « art nouveau » dont la faible lumière perce à peine à mes pieds l’obscurité des lieux.

Christa se tourne vers Philippe, lui dépose un gros baiser sur les lèvres suivi d’une claque amicale sur les fesses, puis lui déclare presque hilare :

— Alors Philippe chéri, tu te prends pour Lamartine ?
— Quoi ?
— Oui, il disait je crois : « … dont la faible lumière perce à peine à mes pieds l’obscurité des bois. »
— Christa, tu m’en bouches un coin, et un sacré. J’ignorai complètement que tu connaissais les poètes romantiques français.
— N’oublie pas que j’ai suivi pendant un an des cours de civilisation française… et que mon ancien ami français était un artiste et un vrai poète.
— Il faisait des études de littérature ?
— Non, d’architecture. Mais ce qui l’intéressait avant tout c’était l’art et la beauté, moins la technique. C’était un fou de la vie, des hommes et de ce qu’ils réalisaient.

Philippe ressent de l’émotion dans la voix de Christa quand elle parle de son ancien ami français. Visiblement c’était loin d’être une aventure « sans lendemain ». Philippe s’en inquiète avec doigté :

— Christa, tu m’en parles avec tellement d’émotion, de ton ancien ami français, qu’on a l’impression que ça a été l’amour de ta vie ?
— Oui, J’ai passé six ans avec lui, toute la durée de mes études… Ça va te paraître démodé, je n’ai connu que lui à Paris et je ne l’ai jamais trompé.
— Il faudra que tu m’en parles un peu plus, je ne voudrais pas que tu me prennes pour son clone.
— Oh, non ! Rassure-toi, Philippe, vous êtes à 100% opposés.
— Si tu le dis… Il n’a pas le même prénom que moi, j’espère ?
— Non, il s’appelle Jacques.

Philippe reste pensif, qu’est devenu ce Jacques, pourquoi ne l’a-t-elle pas épousé. Il aimerait en savoir beaucoup plus sur cet homme qui est peut-être devenu un architecte connu. En final il s’aperçoit qu’il ne sait pas grand-chose sur Christa, alors, qu’à l’inverse, elle en connaît déjà beaucoup sur lui et sur Isabelle. Un point supplémentaire à aborder au restaurant tout à l’heure.

Il est maintenant grand temps de quitter ce nid d’amour ou plutôt cette cage d’escalier. Philippe sonne la retraite en donnant une grande claque sur les fesses de Christa, en ayant pris soin auparavant de soulever la jupe de son tailleur, pour être plus efficace. Il ramasse ensuite son micro-ordinateur, vérifie que rien n’est tombé des poches de sa veste, et lance en dernier sur un ton qui se voudrait autoritaire :

— Allez viens, grosses fesses ! On va à l’hôtel. Tu vas pouvoir enfin prendre ta douche.
— Tu les trouves vraiment grosses, mes fesses ?
— Non ! Elles sont justes comme il faut, elles ont simplement besoin d’être honorées.
— Tu as de la suite dans les idées, mais pas tout de suite, sois patient.

Un peu avant d’arriver en bas de l’escalier, le téléphone de Philippe se met à sonner. Il jette un coup d’œil pour repérer l’appelant, mais ne répond pas. Christa s’en étonne :

— Tu ne réponds pas ?
— Non, c’était Isabelle, elle vient sûrement de rentrer. Je la rappellerai quand tu prendras ta douche. Elle va sûrement me demander comment s’est passée ma démo logiciel à la Fédération du bâtiment. J’en profiterai aussi pour appeler ma mère qui doit mourir d’inquiétude.
— C’est sympa comme ça à ton âge de penser encore à sa petite mère. Mon fils ne m’a pas appelée une seule fois depuis que je suis arrivée à Paris.
— Moi j’appelle mes parents tous les deux jours, juste une minute ou deux, pas plus, le temps de prendre de leurs nouvelles.
— Et tu les vois souvent ?
— Oui, deux ou trois fois par semaine, quelques fois avec un de mes amis, quelques fois avec la fille d’Isabelle quand sa mère rentre tard. Mes parents sont très accueillants. Je n’aime pas manger seul. Avec eux je reste en contact avec toute la famille et leurs amis… Et puis j’en profite pour apporter du linge à laver.
— Quoi ! C’est encore ta mère qui te lave et te repasse tout ton linge ?
— Oh non, pas du tout. Isabelle en fait la moitié.
— Mais, Philippe, tu as été très très mal habitué.
— Chez toi, c’est ton fils qui lave ses affaires ?
— Euh non. Il est encore étudiant.
— Alors ne dis pas le contraire de ce que tu fais. Beaucoup de mes collègues font comme moi, et en plus j’adore porter une chemise en pur coton qui a été repassée avec soin et avec amour.
— Vous êtes une génération d’assistés !
— Alors, merci mesdames de nous assister, c’est trop sympa de votre part.

À quelques marches du rez-de-chaussée Christa s’arrête brutalement de descendre et déclare à Philippe avec beaucoup de sérieux et une pointe de mystère :

— Pour en revenir à ton logiciel, j’aimerais que tu m’en parles en détail quand nous serons au restaurant… Et en plus, moi aussi, j’aurai quelque chose de très important à te demander.
— Demande-le tout de suite.
— Non, je préfère être au calme. Et en tout cas pas dans une cage d’escalier, avec un jeune excité qui n’arrête pas de me peloter les fesses.
— C’est de ta faute, tu n’as pas remis ta culotte.
— Après ce qu’on vient de faire, c’est difficile, je ne veux pas la salir. C’est pour ça qu’il faut que je prenne une douche.

En sortant de ce petit immeuble et de cette impasse d’un autre temps, ils sont tous les deux immédiatement replongés dans cette vie si particulière et trépidante de Saint Germain des Près. Philippe prend Christa par l’épaule qui regarde inquiète à droite et à gauche avant lui dire :

— Philippe, soit sérieux maintenant, on est dans la rue. Je préfère te tenir par le bras, ça fait moins intime… On peut toujours rencontrer quelqu’un qu’on connaît…
— …et qui te veut du mal.

Christa sourit un peu crispée et rajoute immédiatement :

— Mes fesses, elles te sont interdites jusqu’à l’hôtel. Et puis tout le reste aussi.

◦◦◦ 22:15 ◦◦◦
(Le petit hôtel de Saint Germain des Près)

Quelques minutes plus tard, ils arrivent tranquillement dans leur petit hôtel discret où ils doivent passer une partie de leur dernière nuit. Le patron annonce à Christa qu’il leur a réservé la même chambre que la veille et que, s’ils désirent une bouteille de champagne, il en a mis une à leur disposition dans un petit frigo situé derrière le comptoir d’accueil. Christa remercie, règle la chambre et le champagne, et s’apprête à monter dans la chambre pour se « rafraîchir ». Philippe l’interpelle et lui demande de monter son micro-ordinateur portable. Il n’en a pas besoin au restaurant et ne veut pas avoir ses mains encombrées. Christa s’exécute avec le sourire et lui dit de loin en lui faisant un grand geste de la main :

— Je suis une femme rapide, je n’en ai pas pour très longtemps à prendre ma douche.
— Ne t’inquiète pas, Christa, tu peux prendre ton temps. J’ai deux coups de fil à passer.
— Deux coups de « sans-fils », tu veux dire ?
— Tu as raison, les techniques changent, mais pas le vocabulaire.

Philippe téléphone en premier à sa mère, elle est ravie de pouvoir lui parler au téléphone et de savoir que, tout compte fait, la journée ne s’est pas trop mal passée.

Le deuxième appel est pour Isabelle. Philippe lui annonce qu’il est au quartier Latin avec des dirigeants et des syndicalistes allemands que son ami Marc lui a présentés lundi soir dernier, et qu’en particulier il a fait la connaissance de la présidente d’une entreprise de machines spéciales. Isabelle l’interrompt dans son long monologue :

— Philippe, le plus important pour moi ce n’est pas de savoir ce que tu as fait avec Marc, mais si la démo de ton logiciel s’est bien passée.
— La démo, oui. Mais je vais avoir plus de mal que prévu pour convaincre ces professionnels de l’habitat individualisé.
— Je te l’avais dit, c’était prévisible, c’est un monde très spécial. Sur ce, tu rentres quand ?
— À priori, vendredi soir après ma dernière démo. Viens me chercher à la gare de Montpellier au TGV de neuf heures moins dix, on pourra dîner ensemble avec ta fille dans notre petit resto chinois près de la place de la Comédie, on rentrera à Sète après.
— Ta fille, ta fille… Elle a un prénom, ma fille !
— Bon, excuse-moi, Isabelle. Je vais reposer différemment ma question.

Philippe, très satisfait, reprend bruyamment son souffle et déclare d’une traite à Isabelle, sur un ton à la fois ironique et alambiqué :

— Ma très chère Isabelle, accepterais-tu de dîner avec moi en toute simplicité vendredi soir vers neuf heures, en compagnie de ta charmante jeune fille Odile, envers qui j’éprouve des sentiments sincères et distingués ?

Philippe n’a même pas le temps de reprendre sa respiration que la réaction d’Isabelle tombe, sèche, sans se faire attendre :

— Philippe, j’aimerais qu’une seule fois dans ta vie, tu arrêtes de te foutre de moi quand je te fais une réflexion. Tu me prends vraiment pour une conne.
— Excuse-moi à nouveau, j’ai oublié de te préciser qu’après cette invitation quand nous serons de retour à Sète, je serai prêt à accomplir avec ferveur mon devoir d’amant pour t’honorer dignement.
— Quand je t’entends, je me demande ce que je fais avec toi. J’ai l’impression d’avoir à faire à un gamin de l’âge de ma fille.
— Dans ce cas-là, Isabelle, fais attention. Ça fait quand même très désordre de partager ta couche avec un jeune gamin pré-pubère. Il me semble même que c’est sévèrement puni par la loi.
— Parti comme c’est parti, j’arrête de discuter avec toi. J’irai quand même te chercher avec Odile au TGV après demain soir. Après on verra ce qu’on fera. Tu vois, je ne suis pas rancunière. Je te souhaite quand même une bonne soirée.
— Eh bien : merci, bonsoir et plein de bisous partout, même là où c’est interdit.
— J’espère qu’il n’y a personne à côté de toi pour entendre toutes tes bêtises.
— Non, rassure-toi, ils sont tous à l’hôtel et je suis seul dans la rue. Allez « tchao » ma belle Isa.

Philippe referme son téléphone et le met dans sa poche. Il sent alors quelqu’un derrière lui qui tapote sur son épaule. Il se retourne, c’est Christa :

— Ils viennent tous de descendre de l’hôtel… mais ils ne vont pas tous faire plein de bisous partout, même là où c’est interdit.
— Je ne t’ai pas entendu venir… Euh, tu as tout entendu ?
— Non, seulement ta dernière phrase. Je viens d’arriver. Je ne voulais pas te déranger dans ta conversation. Rassure-toi, je n’écoute pas aux portes.
— …
— Quand on va se quitter, toi tu auras une gentille femme pour te consoler, pour lui faire plein de bisous partout. Moi, je serai seule dans mon lit.
— Attends Christa, qu’est-ce que tu veux que je te réponde ?

Christa marque une petite pause, son sourire est triste. Elle prend fermement Philippe par le bras et lui répond en marchant :

— Que tu es très content de m’inviter au restaurant… parce que tu me trouves très belle… parce que tu meurs de faim… parce que tu veux me parler de ton logiciel… parce que…
— …
— et en plus j’aurai quelque chose de très important à te demander.
— De la plus haute importance ?
— De la plus haute importance.
— Alors « let’s go », je t’emmène dans un petit bistro auvergnat.



À suivre...

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