1.7.07

Vingt-quatre heures de folie


Vingt-quatre heures de folie

1 : La belle organisatrice en défaut
(Jeudi vers 16 heures)

Dora est une jeune quinquagénaire, divorcée et mère de deux enfants ayant pris leur indépendance. Cette grande et belle femme blonde aux cheveux longs et aux yeux vert pale est d'origine vénitienne. Certains y voient l'explication de son élégance, de sa féminité et de son goût prononcé pour les hommes quel que soit leur âge.

Très dévouée et se dépensant sans compter pour les autres, cette femme est la responsable locale pour Saint-Cugnac, une bourgade proche de Montpellier, de l'association caritative : « Un repas pour tous ».

Sa section locale a été chargée cette année de l'organisation de la conférence régionale annuelle. Le maire de Saint-Cugnac a mis à la disposition des deux cents délégués la salle polyvalente municipale pour les accueillir.

Plus qu'un jour et demi, avant la date fatidique. Serge, responsable national de l'association, doit passer aujourd'hui dans les modestes locaux de la section locale. Il faut mettre le coup de patte final à l'organisation de cette conférence et aux différents discours qui doivent être prononcés. En arrivant devant la porte du local les cloches de l'église sonnent quatre coups. « Tiens, il est déjà 4 heures, se dit-il ». Au fond de la pièce, derrière une immense table en bois couverte de dossiers, Dora prépare ses dernières interventions. Serge l'interpelle avec une voix très chaleureuse :

- Bonjour Dora, c'est samedi notre grand jour.
- Bonjour Serge. Oui ! Tout est fin prêt pour recevoir nos deux cents délégués régionaux.
- Côté matériel rien à signaler ?
- Non ! On n'a aucun souci à se faire, la salle de conférence est entièrement équipée.
- Et que nous as-tu concocté pour la soirée ?
- En soirée, rien ! Mais un grand pot de l'amitié vers 18 heures 30 avec plein d'amuse-gueule.

Serge reste figé, s'ensuit un grand silence :

- Dora, tu plaisantes ?
- Non, pourquoi ?
- C'est une catastrophe ! Dans notre association, il y a toujours une soirée banquet organisée après une conférence régionale.
- Mais je viens de Paris et on n'a jamais rien fait.
- Il n'y a qu'au niveau national à Paris où les conférences sont sans soirée banquet, ailleurs c'est une super fiesta.
- Serge, tu es en train de casser ma réputation, personne ne m'a jamais rien dit.
- C'est vrai que vous êtes une toute jeune équipe.
- Et combien coûte la participation à une soirée banquet ?
- Au grand maximum, dix euros par personne, boissons comprises.
- Mais ce n'est rien du tout pour un banquet.
- Tu oublies les sponsors locaux.

Dora transpire, elle n'a jamais autant transpiré de sa vie :

- Serge, laisse-moi seule dans mon bureau, je vais tenter de faire quelque chose.

Le premier réflexe de Dora est de téléphoner à la mairie. Malheureusement, les nouvelles sont mauvaises, la salle polyvalente municipale doit être libérée impérativement avant 20 heures 15 et toutes les chaises rangées. Un film documentaire est projeté à 21 heures et rien ne peut plus être modifié.

Dora pousse un soupir, ses nerfs craquent, quelques grosses larmes coulent le long de ses joues. Serge, qui n'a pas encore quitté le local voit la scène. Il s'approche de Dora, la prend dans ses bras et lui dit :

- Ne pleure pas Dora, je n'aime pas voir une femme pleurer, surtout pas toi, avec tout ce que tu fais pour nous. S'il n'y a pas de soirée banquet, on fera sans.
- J'aurais pu prendre plus de conseils auprès des anciens.
- Tu te dévoues déjà assez pour les autres, on a tous le droit de faire une bêtise. Ne t'inquiète pas pour les conséquences, je suis à tes côtés et tu peux compter sur moi.
- C'est gentil de me dire tout ça, Serge. Je vais quand même demander un coup de main à la secrétaire particulière du maire pour tenter de faire quelque chose.
- On dîne ensemble ce soir ?
- Non merci, Serge, je ne pourrai pas. Avec ce qui vient de me tomber dessus, ça ne passera pas. Je suis beaucoup trop nouée.
- Tiens-moi au courant, Dora. Tu peux m'appeler quand tu veux sur mon mobile... Mais n'en fait pas trop, l'important c'est la conférence, pas la bouffe.

Serge ne pense pas un traître mot de ce qu'il vient de dire. Il quitte les locaux, très perturbé par cette absence de soirée banquet et ennuyé, mais sans plus, par le choc induit sur Dora. C'est vrai qu'il ne faudrait pas qu'elle flanche, dans la région tout le monde a trop besoin d'elle.

Dora, qui a horreur des échecs, téléphone à la secrétaire particulière du maire dès le départ de Serge. Elle se présente en détail et lui décrit l'étendue du problème. Les congressistes, surtout les hommes, ne lui feront pas de cadeaux. Les sous-entendus machos sur les compétences des femmes vont pleuvoir à foison. La secrétaire l'écoute attentivement, sans jamais l'interrompre. Sa réponse comporte une lueur d'espoir :

- Personnellement, je ne peux pas faire grand chose pour vous, Dora, mais je connais une ou deux personnes qui sauront vous donner un sérieux coup de main.
- Vous me remontez le moral.
- En particulier, je vais contacter une femme qui est presque une amie. Elle est enseignante, mais surtout syndicaliste, et elle dispose d'un carnet d'adresses impressionnant. C'est une femme qui a le cœur sur la main.
- Je ne sais comment vous remercier.
- Attendez après-demain pour le faire. Je ne vous garantis rien de ferme, seulement ma bonne volonté.
- C'est déjà beaucoup.
- Vous savez, Dora, organiser une soirée banquet en un jour et demi avec très peu d'argent relève du miracle, mais comme le dit le proverbe, qui ne tente rien n'a rien. Un dernier détail combien y aura–t-il de personnes à table ?
- Un peu plus de deux cents, à dix ou vingt près.
- Je vous rappelle demain vers midi.

2 : La femme au carnet d'adresses
(Jeudi vers 20 heures)

Barbara est à mi-chemin de ses quarante et de ses cinquante ans. C'est une belle femme très méditerranéenne, la peau mate, des cheveux noirs assez longs et une voix très chantante. Très discrète sur sa vie privée, cette mère d'une grande fille de dix-huit ans en première année de fac, ne s'est jamais mariée.
Enseignante agrégée d'espagnol, elle parle couramment le catalan depuis quelques années. Le syndicalisme, la rédaction d'articles et de nouvelles, et les traductions les plus diverses occupent la majeure partie de son temps libre.

Son carnet d'adresses est impressionnant. Depuis son plus jeune âge, dès qu'elle rencontre quelqu'un, elle y note tous les détails.

Son bon copain, Carlos, est le chef d'une petite entreprise à tout faire dans le bâtiment. Cet ancien instituteur quadragénaire reconverti, est un perpétuel baratineur et tutoie tout le monde sans se poser de questions. Célibataire endurci, les femmes sont sa grande passion. Il lui est très difficile d'en voir passer une sans essayer d'obtenir avec le sourire un rendez-vous, un « rencard » selon son expression. Comment résister à une femme qui a de jolies formes, peu importe son âge ou le fait qu'elle soit mariée ou non.

Barbara vient de recevoir un coup de téléphone de sa copine, la secrétaire particulière du maire, qui lui explique par le détail, le problème de la soirée banquet. Bien sûr elle a des relations, mais de là à organiser une soirée banquet en quelques heures, même sans fioriture à la va-vite, il y a un monde. La première personne qu'elle appelle est son ami, Carlos. Malheureusement, il est toujours en clientèle et en a encore pour plusieurs heures. Pour ne pas changer, demain il sera « charrette », c'est dire qu'il n'aura quasiment pas de disponibilité :

- Barbara, si tu veux, je peux passer te voir demain matin vers sept heures avant d'aller à mon chantier. On prendra notre petit-déjeuner ensemble.
- Mon pauvre Carlos, il sera trop tôt pour les croissants.
- Je m'en passerai.
- Tu penses avoir une solution à mon problème ?
- On verra ça demain matin, mais je tiens à te prévenir, je ne pourrai pas faire grand-chose pour la soirée banquet proprement dite, juste un bon coup de main sur le plan matériel.
- Ecoute, ce n'est déjà pas si mal.

Barbara commence à s'inquiéter du manque de solutions pour cette soirée banquet. Elle pense, en dernier ressort, au fils d'un de ses collègues, un étudiant en sciences qui a des responsabilités dans un mouvement politique de jeunesse. Ne connaissant pas son numéro de téléphone personnel, elle appelle son père :

- Bonsoir, c'est Barbara à l'appareil.
- Bonsoir, Barbara, quel bon vent t'amène ?
- Excuse-moi de t'appeler si tard, mais j'ai un service urgent à demander à ton fils et je ne sais pas comment le joindre.
- Il est à un meeting politique ce soir et il rentrera tard dans la nuit. Mais que lui veux-tu exactement ?

Barbara, explique alors à son collègue, le problème qui doit être réglé dès le lendemain :

- Mon fils Alain est maintenant secrétaire départemental de son mouvement de jeunesse. Il a souvent organisé des soirées politiques à un prix « spécial jeune », c'est certainement le garçon qu'il te faut. Je suis sûr que lui ou un de ses copains auront une idée pour la suite de ta soirée banquet.
- Tu me rassures.
- Je vais attendre qu'il rentre pour le mettre au courant de ton affaire et comme les cours en fac sont terminés, je lui demanderai de passer te voir demain matin.
- Vers quelle heure ?
- Sûrement pas avant neuf heures, laisse-le un peu se reposer, à 22 ans, on a besoin de sommeil.
- Tu crois qu'il se souvient de moi ?
- Il devrait, mais je ne peux pas répondre à sa place.

Barbara peut maintenant préparer le repas pour elle et pour sa fille. Après, il sera temps d'aller se coucher, demain la journée de travail va être chargée, démarrage à sept heures.

La première chose que fait Barbara en se levant et de prendre une douche presque froide. C'est pour elle le plus formidable des réveils. À peine habillée, il est déjà sept heures et Carlos sonne à la porte. Il dépose sa petite mallette sur un meuble et jette sa veste sur un fauteuil. Barbara l'invite à s'asseoir à sa table de salle à manger et apporte un petit-déjeuner complet sans croissant, mais avec des biscuits. Nicole, la fille de Barbara vient les rejoindre, à demi réveillée :

- Dis donc Barbara, tu avais oublié de me dire que ta fille est de plus en plus belle.
- Carlos, tu ne vas pas te mettre à draguer ma fille à sept heures du matin, n'oublie pas que tu as l'âge d'être son père.
- Dis donc maman, tu ne crois pas que je suis assez grande pour me défendre toute seule... ou ne pas me défendre. Tu ne m'avais pas dit que Carlos était aussi craquant.
- Barbara, ce n'est quand même pas de ma faute si ta fille me trouve craquant.
- Bon, arrêtez tous les deux, j'aimerais bien qu'on puisse parler sérieusement de la soirée banquet de demain.
- Mais Barbara, c'est très vite vu, je ne peux rien faire avant que les grands points de la soirée banquet soient définis. Je serai à la salle polyvalente vers 15 h pour vérifier l'installation électrique, les systèmes de sécurité et les toilettes. Viens me rejoindre, on ne peut rigoureusement rien faire avant.
- C'est d'accord.
- Maman, tu as mis la charrue avant les bœufs, c'est avec le fils de ton collègue que tu dois régler tous les points en premier.
- Tu as raison.
- C'est dommage, je ne serai pas là quand il arrivera, je dois réviser mes examens à la bibliothèque. Il est peut-être craquant lui aussi.

Un coup pour rien, mais pas tout à fait. Le petit-déjeuner terminé, Carlos et Nicole la fille de Barbara, s'en vont. Tout repose désormais sur Alain, le fils de son collègue.

3 : Le jeune étudiant
(Vendredi vers 9 heures)

C'est avec une petite demi-heure de retard qu'Alain, le jeune étudiant tant attendu, sonne à la porte. Barbara lui ouvre et Alain particulièrement surpris s'exclame :

- Oh, ça alors ! C'est vous notre belle petite traductrice brune.
- Rentrez et asseyez-vous, et dites-moi de qui ou quoi vous parlez.
- Mais de vous. L'année dernière, à la grande conférence sur la guerre d'Espagne, c'est vous qui faisiez les traductions en direct.
- Oui, tout à fait.
- Mes copains et moi, on était au premier rang, et on peut dire que vous nous avez sacrement tous allumés. Vous étiez habillée avec une petite robe noire qui s'arrêtait à mi-cuisse, vous parliez avec une voix charmeuse et chantante, en fait vous étiez bien trop craquante.
- Merci pour le compliment.
- Vous vous rendez compte, par un fait du hasard j'ai maintenant en face de moi la femme qui nous a tous fait rêver... moi en particulier.
- Alain, remettez-vous de vos émotions et asseyez-vous. On parlera de la traductrice craquante, en petite robe noire, quand nous aurons fini notre projet. Voulez-vous un café avec des biscuits ?
- Oui, avec plaisir, mais je voudrais d'abord me laver les mains.
- La salle de bain donne dans ma chambre, ne tenez pas compte du désordre, je n'ai pas encore eu le temps de faire mon lit. Mon ami Carlos, l'entrepreneur, est venu me proposer ses services sur ce projet, à sept heures du matin.

Alain va se laver les mains et, dès son retour, Barbara lui fait une description détaillée du problème : la salle polyvalente indisponible après 20 heures 15, pas de traiteur pour le repas et pas d'après banquet organisé. Alain, est tout sourire, il prend la parole en frimant un grand coup devant sa « belle traductrice brune » :

- Je vais vous faire rire, Barbara, vous êtes enseignante et ce cas est scolaire. Il me faut moins de deux heures pour organiser un événement comme celui là, avec tout le tralala et pour moins de dix euros par personne.
- Vous en êtes sûr ?
- C'est vraiment sans problème. À votre avis, quelles sont les deux seules choses à prévoir pour ce genre de soirée banquet ?
- Je n'en ai aucune idée.
- Il faut prévenir les pompiers et les gendarmes et disposer de WC... et c'est tout. Le reste c'est du bonus.
- Surprenant.

Alain apprécie le sourire de Barbara dont le visage est de plus en plus détendu. Il revoit dans sa tête la belle traductrice brune qui se déplaçait d'un conférencier à l'autre avec un sourire presque angélique et une voix si chantante. Sa robe mettait tout son corps en valeur, ses jambes et ses cuisses si élancées en particulier. En entrant chez elle tout à l'heure il s'est trouvé projeté un an en arrière. Il aurait eu envie de la prendre dans ses bras, de l'embrasser, de la cajoler et d'envoyer l'organisation de cette soirée banquet aux calendes grecques. Comment dire à cette femme qu'il la trouve belle, craquante à point et désirable comme il n'a jamais désiré une femme. Le coup de main qu'il lui donne est une chance à ne pas gâcher. Il vient de soulager les épaules de cette frêle traductrice d'un fardeau imposant. Alain peut maintenant, en toute décontraction, poser les quelques questions qui vont lui permettre de bien asseoir le projet et de se mettre en valeur :

- La salle polyvalente a-t-elle son propre parking ?
- Bien sûr.
- Donne-t-elle sur un bout de jardin ?
- Oui, elle est au milieu d'un square rempli de lavande.
- On est à quelques jours de l'été, on va pouvoir s'installer dehors, dans le square, contre la salle polyvalente. On fera une grande paella suivie d'un bal avec de la musique rétro sur vieux vinyles des années soixante-dix. On demandera à votre ami, Carlos, d'installer l'électricité et de suspendre des guirlandes multicolores de Noël pour s'éclairer. Ça permettra d'avoir une ambiance du feu de Dieu.
- Alain vous êtes un sorcier.

Barbara est maintenant complètement rassurée et donc détendue. Elle est très impressionnée par l'aisance du jeune homme, sa décontraction et la facilité avec laquelle il se propose d'organiser la soirée. Alain sent que c'est le moment idéal pour lui prendre sa main et lui déposer une bise un peu appuyée. Barbara se laisse faire, puis retire sa main délicatement :

- Voyez-vous, Barbara, avec moi tout est simple. Vous devriez être complètement rassurée sur ce projet.
- Oui, mais continuez à me dire comment vous voyez la chose, ne vous laissez pas perturber par la traductrice qui est devant vous.
- Bien, je continue. Pour les boissons : vin en cubitainer et eau minérale. On les prendra au super marché d'à côté en leur demandant de tout mettre au frais. Dans la foulée on y achètera le pain, les condiments, le fromage, des glaces et des gâteaux. Par la même occasion on lui demandera un grand bac de glace pilée.
- Et les tables ?
- On prend celles de la salle polyvalente puisqu'ils font une soirée cinéma. S'il n'y a pas assez de chaises, on complètera avec celles d'une école ou mieux avec des bancs. Vous voyez, c'est sans problème, il nous suffit de tout lister. Par mesure de précaution demandez l'accord de la mairie et téléphonez à l'assureur pour qu'il couvre les incidents.
- Et les couverts ?
- Tout doit être jetable, y compris les verres cristal en plastique transparent. Après la fête on met tout dans des grands sacs poubelle et on jette le tout.
- Il ne faut rien d'autre ?
- Si, une dizaine de volontaires pour les courses et la préparation, et une vingtaine de volontaires pour tout ranger en quelques minutes.
- Pourquoi personne n'a pensé à cette solution ?
- Parce que les adultes prennent l'habitude de tout payer et de tout sous-traiter aux spécialistes ce qui coûte une véritable fortune. Les jeunes n'ont pas les moyens et sont donc plus astucieux.

Le visage de Barbara n'a jamais été aussi ouvert et souriant. Elle téléphone au secrétariat du Maire qui donne immédiatement son accord pour tout. Un problème de moins à gérer. La seule exigence est de trouver un moyen pour séparer les congressistes des promeneurs. Des palissades basses de chantier feront parfaitement l'affaire. Côté supermarché l'accueil avec le directeur est des plus cordiaux. Il est en mesure de tout fournir et de reprendre ce qui n'aura pas été consommé. C'est important pour l'eau minérale car quelques degrés de plus ou de moins peuvent faire varier la consommation de plus de cinquante pour cent. Cerise sur le gâteau, il fournira gratuitement à 21 heures toute la pâtisserie du jour qui n'aura pas été vendue. Le super marché étant fermé le dimanche, ce genre de marchandise ne se conserve pas plus d'une journée. On allongera un peu la durée de la conférence pour que le dessert corresponde à la fermeture du supermarché.

- Alain comment voyez-vous le bal à la fin du banquet ?
- J'ai plusieurs de mes copains qui adorent faire passer des vieux disques vinyles des années soixante à quatre-vingt. Le matériel un peu ancien est assez puissant pour faire danser des gens de quarante ans et plus. Ils ne cherchent pas les décibels à tout prix.
- C'est une bonne idée.
- En plus ça me permettra de vous inviter à danser, surtout si c'est une danse un peu rétro comme un slow.

Alain regarde Barbara, droit dans les yeux et lui demande, avec un petit air malicieux :

- Quelle heure est-il, Barbara ?
- Il est un peu plus de onze heures.
- La préparation de notre projet est presque finie.
- Je connais une femme qui va être soulagée.
- Vous ?
- Oui, mais surtout la responsable de l'association « Un repas pour tous ».
- J'aimerais qu'on parle maintenant de la traductrice craquante en petite robe noire.
- Vous avez de la suite dans les idées.
- J'aimerais lui faire une grosse bise sur les deux joues.
- Alain, la traductrice craquante en petite robe noire, a une fille de votre âge, qui fait ses études en fac.
- Quel est le rapport entre une bise sur les deux joues et votre fille ?
- Cela veut peut-être dire que la mère n'est plus tout à fait de votre âge.
- Je n'ai pas envie de vous répondre.
- Je ne vous le demandais pas.

Alain se lève, fait le tour de la table et tend sa main à Barbara pour l'inviter à se lever. Barbara se lève et avec une voix cachant mal une pointe d'émotion dit à Alain :

- Je ne vais pas vous refuser une bise en toute amitié après ce que vous venez de faire pour moi... et pour les autres.

Alain prend Barbara dans ses bras, lui fait une première bise très appuyée sur la joue puis lui passe délicatement la main dans ses longs cheveux noirs et dans son dos :

- Et alors Alain, je croyais que vous vouliez me faire deux grosses bises.
- Je n'en ai plus envie.
- Ah ! Pourquoi ?
- Pour ça.

Alain pose ses lèvres sur celles de Barbara et, après quelques secondes d'hésitation, il devient difficile de savoir qui d'Alain ou de Barbara embrasse l'autre avec le plus de passion. Le corps de Barbara est complètement collé à celui d'Alain.

- Barbara, vous me rendez complètement fou.
- Alain, vous vous rendez compte de ce que vous dites.
- Oui, depuis que je suis entré chez vous, je n'ai eu qu'une seule envie : vous prendre dans mes bras et vous embrasser. Je vous trouve tellement belle et... et...
- Dites-moi tout, au point où nous en sommes.
- Oui, belle et désirable.

Barbara redresse sa tête et fixe Alain avec un regard très perçant. Elle lui dit sur un ton ferme en le tutoyant :

- Ne me fais pas de compliment si tu ne le penses pas, je suis beaucoup trop sensible.
- Ce n'est pas un compliment, je le pense vraiment, je ne savais pas que je serais aussi ému en vous disant cela.
- Je crois qu'après ce qui vient de se passer, tu peux me tutoyer sans hésitation.

Alain reprend la tête de Barbara dans ses mains et l'embrasse avec encore plus de passion que la première fois. Le cœur de Barbara bat de plus en plus fort, de petits tremblements sont perceptibles dans ses bras, et sa voix ne parvient plus à dissimuler son émotion :

- On n'est pas bien ici, on sera mieux dans ma chambre.
- Je te suis, tes désirs sont des ordres.
- Non, attends-moi une seconde, je veux d'abord retaper mon lit, je ne veux pas te recevoir dans le désordre.

Barbara se dirige vers sa chambre pour remettre tout en ordre. Pendant ce temps Alain se ressert une tasse de café. Il est froid, mais il ne s'en aperçoit pas. Il est sur un petit nuage :

- Viens, Alain, tu peux me rejoindre.
- J'arrive.

Alain arrive dans la chambre, Barbara s'est déjà déshabillée et l'attend à l'intérieur du lit, allongée sur le dos et la tête bien calée sur un gros oreiller.

Tout son corps, caché par un simple drap presque transparent, est désirable. Alain ne sait pas par où il va commencer, ses seins, son ventre, son cou, ses cuisses, ses fesses, sa bouche. Il est comme un enfant gourmand chez une marchande de bonbons, il a envie de tout dévorer en même temps.

Alain se déshabille presque en se cachant, peut-être par pudeur, et rentre dans le lit. Il prend Barbara dans ses bras. Sa peau est douce, soyeuse et empreinte d'une odeur d'eau de Cologne enivrante et fraîche. Barbara aime parler dans les moments d'intimité :

- Alain je meurs d'envie que tu m'embrasses et que tu me dévores.
- C'est difficile de ne pas répondre au désir d'une belle brune à croquer
- Tu pensais réellement ce que tu m'as dit tout à l'heure.
- Que tu es belle et désirable ? Oui, bien sûr.
- Tu as une petite copine ?
- Oui, mais je n'aime parler ni de mes succès, ni de mes échecs féminins.
- Tu as déjà fait l'amour avec une vieille ?

Alain est surpris par ses propos. Pour lui, une femme aussi désirable n'a pas d'âge ou plutôt si, elle a toujours vingt ans :

- Je n'aime pas ce mot, surtout avec toi. Tu as un corps magnifique et beaucoup de filles de vingt ans aimeraient avoir ta féminité.
- Tu es gentil de me dire ça. Moi je n'ai plus d'amant. J'ai quitté mon compagnon il y a près de deux mois parce qu'il était un peu trop volage.
- Et tu peux rester tout ce temps sans faire l'amour ?
- Tu sais pendant un certain temps une femme sait être autonome. Je n'aime pas les aventures à la va-vite...

Alain toussote en souriant et effleure du bout des doigts les fesses de sa conquête. Barbara s'aperçoit qu'elle n'a peut-être pas utilisé les mots les plus appropriés pour expliquer qu'en moins de deux heures elle se retrouve chez elle, dans sa chambre, à partager son lit avec le fils d'un de ses collègues :

- C'est vrai que j'ai cédé bien rapidement avec toi...
- Attention, Barbara, tu aggraves ton cas. Trouve-moi une explication plausible.
- Crois-moi si tu veux, ça ne m'est, pour ainsi dire, jamais arrivé... pas plus que d'avoir une aventure avec un garçon de ton âge.
- Tu es adorable de me dire tout ça, surtout que ton corps est brûlant.
- Alain, je ne sais pas ce qui m'arrive, mais je te désire comme une folle.
- Et moi encore plus.

Alain pose sa bouche sur la poitrine de Barbara qui répond en lui caressant sa tête et ses cheveux. Puis lentement, très lentement, avec beaucoup de douceur sa bouche descend le long du ventre pour se diriger vers des zones plus féminines, plus sensibles, des zones qui associent la douceur, le plaisir et le rêve.

L'esprit de Barbara s'envole. Elle ne sait plus dissocier le rêve de la réalité, mais le veut-elle ? Son corps aussi lui paraît léger. Elle s'attendait à faire un amour violent avec cet homme dont elle pourrait être la mère, un amour où les forces des deux corps s'unissent pour décupler le plaisir. Avec Alain elle est dans un univers de douceur, d'harmonie. Elle sait qu'il va la mener au plaisir par le chemin des écoliers, mais elle a tout son temps. Son corps se détend de plus en plus, mais quand les lèvres d'Alain, si chaudes et si douces, se posent sur son bouton d'amour, tout son être est pris de frémissements. Quand les doigts d'Alain effleurent l'intérieur de ses cuisses, c'est tout son corps qui a la chair de poule. Puis le temps s'écoulant, toutes ses sensations calmes et discrètes au début deviennent plus violentes, un peu comme les premiers souffles de vent précédant un orage. Barbara voudrait les dominer, les apprivoiser, donner du temps au temps, mais son corps ne veut plus lui obéir, il refuse d'attendre, il veut être apaisé. Il faut maintenant que le plaisir arrive.

La langue d'Alain insiste sur les zones les plus sensibles, sa bouche se délecte des manifestations onctueuses qui précèdent la vague de plaisir qui va la submerger. Quand finalement Alain aspire avec force le bouton d'amour de Barbara avant de le mordiller avec ses dents, c'est l'explosion, tant attendue, indécente, sans retenue. Le ventre et les cuisses de Barbara se contractent avec tous ses muscles. Elle saisit fortement la tête d'Alain dans ses mains puis soupire profondément. Quand les derniers tremblements sont passés, Alain reprend sa place à côté de sa nouvelle amante et la serre très fort dans ses bras. Barbara s'écarte un peu, le regarde droit dans les yeux avec une expression mêlant désir et une certaine autorité, et lui dit :

- Embrasse-moi encore une fois.

Leur baiser est passionné. Il permet à Barbara de prolonger les instants de plaisir qui viennent de la submerger. Puis Barbara se fait chatte, elle se blottit dans le cou d'Alain pour chercher un refuge au temps, ce temps qui passe trop vite et qu'elle ne sait pas arrêter.

Barbara caresse sensuellement le corps de Alain qui se laisse faire comme un bébé. Quand avec sa main elle se rapproche des parties spécifiquement masculines, il lui est facile de constater l'étendue de son désir. Barbara se met à genou sur Alain, guide son membre au garde-à-vous vers l'entrée de sa grotte d'amour, et le fait pénétrer le plus profondément qu'elle peut. Alain se sent dans un univers d'onctuosité, de chaleur et de bien-être. La belle traductrice prend tout en charge, c'est elle l'actrice et c'est un rôle qu'il apprécie tout particulièrement.

- Alain, j'espère que tu aimes les femmes qui prennent des initiatives ?
- Tu connais beaucoup d'hommes qui le refusent ?
- Non, j'adore maîtriser le plaisir que je donne à un homme, surtout quand c'est un jeune étudiant plein de vie.

Barbara bouge le bas de son ventre très langoureusement au début, puis avec des mouvements de plus en plus amples. Elle reconnaît l'état d'excitation d'Alain à la force avec laquelle il lui serre ses cuisses et ses fesses. Au moment où elle se met à sentir que le moment ultime approche et que plus rien ne peut l'arrêter, elle fait rouler son bouton d'amour sous ses doigts pour que leurs deux plaisirs arrivent en même temps :

- Barbara, je ne vais plus tenir très longtemps.
- Ne t'inquiète pas, Alain, moi non plus.

Alain prend la poitrine de Barbara à pleines mains et la serre avec passion, presque trop fort. Il redescend ensuite lentement ses mains le long de son dos vers ses fesses et ses cuisses, en appuyant avec la fougue d'un homme qui ne cherche plus à maîtriser sa force. Ses doigts laissent de longues traînées rouges sur cette peau si délicate. Barbara devrait ressentir de la douleur, mais elle ne ressent que de la chaleur. Elle est comme anesthésiée par la vague de plaisir qui n'est plus très loin de déferler. Elle se redresse, son regard est dans le vague, son corps est pris de soubresauts incontrôlés, elle commence à râler de plus en plus fort sans vouloir se modérer. Quand arrive le moment où Alain lâche par saccades au plus profond de son ventre ses jets chauds de plaisir, Barbara le regarde avec passion et pousse un long cri. Elle est comme, soulagée par cette jouissance qu'elle vient de déclencher chez son jeune amant. Leur plaisir assouvi, le regard de Barbara devient plus doux, presque maternel :

- C'est ça ma manière de te remercier, Alain.

Comme un enfant, Alain joue avec la poitrine de Barbara, bien ronde et bien ferme. Il aime faire rouler le bout des seins entre ses doigts et en regarder les conséquences sur le corps de son amante. Puis le temps passant, comme toujours trop vite, Barbara se redresse et dit à Alain avec une voix chargée de regrets :

- Je crois qu'il faut qu'on se rhabille. Prend ton temps, je vais aller faire quelques courses, on pourra déjeuner ensemble ici.
- C'est sympa de me dorloter comme tu le fais, je suis comme dans un vrai conte de fée.

Barbara se lève, prend une douchette éclair et se rhabille :

- Barbara, après notre déjeuner, il faut absolument qu'on aille voir la responsable de l'association et que tu prennes contact avec ton copain, Carlos. Il nous reste quand même quelques points de détail à régler.
- Je serai de retour dans une bonne demi-heure. Si on me téléphone, réponds s'il te plaît. On ne sait jamais.

Alain, prend lui aussi une douchette en prenant son temps. Tout d'un coup, la sonnerie du téléphone retentit et Alain n'a pas le temps de répondre. Il se rhabille assez vite et écoute le message enregistré :

« Salut Barbara, c'est Carlos. Je ne retrouve plus mon « baise en ville », tu sais mon petit sac carré que je prends avec moi quand je vais voir une jolie femme. Si je l'ai oublié chez toi, rapporte-le-moi, je vais en avoir besoin. »

En écoutant le message Alain commence à avoir de sérieux doutes. Que vient faire ici ce « baise en ville ». Le cœur battant, il retourne dans la chambre et ne voit rien, pas plus dans la salle de bain. Le sac en question se trouve sur la table de l'entrée. Alain l'ouvre et découvre tous les gadgets destinés à donner du plaisir aux femmes, des grands, des petits, avec ou sans vibreur, et surtout une multitude de préservatifs de toutes les couleurs. Alain découvre tout d'un coup qu'il n'a pas mis de préservatif avec Barbara. Tout se met à tourner très vite dans sa tête. Lui, qui est d'habitude si réfléchi, n'arrive plus à classer ses idées :

« Le lit défait... le sac oublié... tout cela fait beaucoup trop de choses pense-t-il. Cette fille est dégueulasse, je suis passé en deuxième, elle ne mouillait pas de désir, elle m'a laissé la lécher dans la jouissance de son copain. C'est vraiment une nympho, non, c'est une salope »

Fou de rage, Alain prend un bout de papier et griffonne :

« Je n'aime pas passer en deuxième, je ne veux plus te voir, JE ME CASSE !!! »

Il lance le papier sur la table de la salle à manger puis se ravise et rajoute :

« PS : je regrette tout le plaisir que tu as daigné m'accorder et encore plus celui que je t'ai sincèrement donné. »

Alain prend toutes ses affaires, quitte la belle maison de ville de Barbara et s'en va presque en courant. Il éteint son téléphone portable, monte dans sa voiture et, la tension nerveuse étant trop forte, se met à pleurer : « Je ne vais pas me mettre à pleurer pour une femme comme ça, se dit-il, il faut que je me contrôle. »

Alain ressort de sa voiture, respire profondément et se dirige vers une petite épicerie pour demander son chemin. Après avoir fait répéter son interlocuteur plusieurs fois, il se dirige vers le local de l'association « Un repas pour tous ».

Pendant ce temps, Barbara vient de terminer ses courses et rentre chez elle. Sa première aventure avec un jeune homme de plus de vingt ans son cadet l'a mise dans une forme époustouflante. En une matinée elle vient de rajeunir de dix ans. Tout en montant son petit escalier, elle réfléchit au moyen d'annoncer à sa fille, qu'elle a désormais, un jeune étudiant pour amant. En rentrant dans sa pièce de séjour, elle appelle Alain, aucune réponse. Elle aperçoit de loin le papier sur la table de la salle à manger :

« Il a du sortir faire une course, se dit-elle »

La lecture du papier est un choc pour elle, un effondrement. Que s'est-il passé pour qu'il puisse écrire des propos aussi violents ? Elle sort immédiatement son téléphone portable pour l'appeler, mais elle tombe directement sur la messagerie. Puis, très rapidement, elle sent son ventre se contracter, sa gorge se serrer, elle ne peut pas résister et s'effondre en larmes. Elle n'a plus faim. Son esprit se met à tourner en rond, il faut qu'elle se sorte de ce cercle vicieux. Ne trouvant pas de solutions, elle se dirige vers son buffet et sort une bouteille de whisky. Elle s'en sert un grand verre à jeun ce qui lui fait tourner la tête, mais apaise un peu sa douleur. Cela faisait vraiment longtemps qu'elle n'avait pas autant pleuré pour un homme, un homme qu'elle connaissait si peu quelques heures auparavant.

4 : La responsable locale de l'association
(Vendredi vers 13 heures)

Alain est dans un état second, il se rend chez Dora pour lui parler de l'affaire et pour prendre les mesures qui s'imposent pour l'organisation de la soirée banquet. Dora voit arriver un grand jeune homme au visage contracté et aux yeux très rouges. Elle le fait s'asseoir, l'écoute et essaye de le calmer. Ses propos produisent l'effet inverse :

- Vous savez, Alain, il semble assez difficile pour une femme de résister à ce fameux Carlos. Quand je suis arrivé dans cette petite ville, il nous a donné un sérieux coup de main pour remettre en état notre local. Un soir, alors qu'on avait travaillé assez tard, j'ai succombé à ses avances. Carlos est un bel homme. Ce n'est pas un drame de faire l'amour avec un homme, même s'il a déjà séduit beaucoup de femmes. Vous n'êtes pas marié à Barbara à ce que je sache, et c'est bien vous qui lui avez fait des propositions.
- Cela ne m'empêche pas d'être complètement noué et d'avoir envie de la « baffer ». Pour moi, cette femme n'est qu'une petite pute.
- Stop, Alain, stop ! Tes propos dépassent ta pensée. Viens avec moi et allons manger un sandwich en marchant, ça te calmera un peu.

Dora et Alain s'en vont vers la grande esplanade. Une petite boutique vend des sandwichs et des boissons diverses. Dora et Alain s'assoient sur un banc public :

- Alain, j'ai besoin de toi, de Barbara et de Carlos. Je te demande de ne rien faire contre Barbara, et surtout, aucune violence qu'elle soit physique ou verbale. On ne lève pas la main sur une femme, même quand on est énervé.

Alain a encore les yeux très rouges, mais commence à mieux se contrôler :

- Je vous le promets, Dora, vous pouvez me faire confiance.
- Entre nous soit dit, c'est la première fois que je vois un garçon de ton âge se mettre dans un tel état avec une femme qui vient de s'offrir à lui. Tu n'étais pas obligé d'accepter. Elle ne t'a pas mis un revolver sur la tempe.

Alain, qui a toujours le cœur très gros ne répond pas ou plutôt il répond en changeant de sujet :

- Si vous voulez, on va aller à la salle polyvalente et je vous montrerai comment je vois les choses. Après, je vous laisserai prendre la tête des opérations. Je ne veux voir cette Barbara qu'à minima, et si possible, pas aujourd'hui.

5 : La salle polyvalente
(Vendredi vers 15 heures)

Dora et Alain se dirigent vers la salle polyvalente. Comme elle est très souvent utilisée, il y a toujours du monde. Arrivés devant la porte ils voient au fond de la grande salle un homme en bleu de travail qui s'affaire avec les projecteurs et à ses côtés une femme avec une longue robe aux couleurs assez vives et un foulard sur la tête. Alain croit reconnaître une gitane, mais n'y prête pas plus attention.

- Dora, nous allons demander à l'homme en bleu de travail où se trouve la cuisine et où sont stockées les tables. Dans cette salle il n'y a que des chaises.

Dora et Alain se dirigent vers le fond de la salle. Tout d'un coup, Dora s'écrie :

- Cet homme je le connais, c'est Carlos. Il doit être là pour vérifier tout le matériel d'éclairage.

Alain qui s'était un peu décontracté en discutant avec Dora se met à ressentir à nouveau comme un très gros poids sur son estomac en découvrant de loin le dénommé Carlos. Dora s'en aperçoit immédiatement, prend Alain par le bras et lui dit :

- Ce que je t'ai dit tout à l'heure pour Barbara est valable pour Carlos.

Alain répond avec une voix peu audible :

- Oui.
- Laisse-moi parler et tout ira bien. N'oublie pas que cet homme n'est responsable de rien, il ne te connaît même pas.

En arrivant à quelques mètres de Carlos, Dora lui lance, avec une voix très féminine et très assurée :

- Bonjour Carlos, je suis contente de te voir.
- Ah, bonjour ! Mais c'est notre sulfureuse Dora.

Dora et Carlos se dirigent l'un vers l'autre pour se faire la bise quand la femme à la jupe longue et au foulard se retourne. Elle porte de grandes lunettes noires qui lui cachent presque la moitié du visage. C'est alors qu'Alain balbutie, la gorge bloquée :

- C'est... c'est Barbara.

Tout d'un coup tout l'espace semble se figer. Dora et Carlos s'arrêtent net comme craignant un incident. La femme à la jupe longue et au foulard dit avec une voix presque inaudible qui ne parvient pas à cacher des pleurs :

- A... Alain.

Puis elle se jette dans les bras de Carlos. Dora regarde à gauche et à droite. Elle craignait cette scène. Une étincelle peut tout faire exploser. C'est Carlos qui prend les initiatives :

- Je n'ai pas compris ce qui s'est passé entre vous. Vous faites tous les deux une tête de cadavre et vous allez en tomber malade.

Personne ne répond. Après plusieurs secondes qui paraissent interminables Carlos reprend :

- Alain, pourquoi es-tu parti en laissant ce mot si violent ?

Alain est figé, il est au bord des larmes et n'est absolument pas en mesure de répondre.

- Est-ce que ça a un rapport avec moi ?

Alain hoche affirmativement de la tête.

- Est-ce que ça a un rapport avec mon appel téléphonique ?

Alain fait la même réponse avec sa tête, toujours sans prononcer un mot. Carlos poursuit :

- Ça y est, j'ai tout compris. Tu as cru que je venais de coucher avec Barbara quand j'ai parlé de mon « baise en ville ».

Pour Barbara, la tension devient insoutenable, elle s'effondre en larme dans les bras de Carlos. Alain ne bouge plus. Au ton que vient d'employer Carlos, il commence à comprendre qu'il a peut-être fait une erreur, une très grave erreur. C'est Dora qui répond pour lui :

- Carlos, c'est ce qu'Alain m'a fait comprendre tout à l'heure.
- Et bien Alain, tu as tout faux, répond Carlos. Barbara est une vraie copine pour moi, on se rencontre pour parler ensemble en espagnol ou en catalan et elle n'a jamais, rigoureusement jamais, été ma maîtresse. C'est peut-être une des seules.

Jamais le silence n'a paru aussi pesant. Barbara et Alain sont figés comme des momies. C'est alors que Carlos prend Barbara par un bras, Alain par l'autre bras et leur dit :

- La cuisine est en face. Dans le frigo il y a un pack de bières. Allez-y, buvez un coup ensemble, expliquez-vous et revenez après. Alain je crois que tu as de très grosses excuses à faire à Barbara. On ne fait pas pleurer une femme comme elle a pleuré. Après, on parlera tous ensemble de ce que je dois préparer pour demain.

Avec une voix qui reprend un petit peu d'assurance, bien que restant presque inaudible, Alain répond :

- Merci Carlos...

Puis se tournant vers Barbara :

- Je te demande pardon pour tout, Barbara.

Alain prend Barbara qui est toujours au bord des larmes par le bras et se dirige vers la cuisine :

- Alain, tu m'as prise pour une traînée.
- C'est bien pire que ça, dans ma tête je t'ai traité de tous les noms, tu étais pire qu'une putain.
- Mais pourquoi ?
- Ce n'est pas tout, j'avais envie de te gifler, de te taper dessus, j'ai complètement pété les plombs.
- Mais encore pourquoi ?
- Je n'en sais rien. Par orgueil, par jalousie, parce que tu n'es pas une fille comme les autres... parce que je t'ai beaucoup trop désirée.

La marche, de quelques dizaines de mètres, qui les sépare de la cuisine permet de faire baisser de plusieurs crans la tension nerveuse. Une fois arrivés, Alain referme la porte de la cuisine et fait s'asseoir Barbara sur une chaise. Il lui offre une bière, s'installe en face d'elle et lui demande :

- Après ce que je t'ai fait, je suppose que tu vas me plaquer ?
- Pour être encore plus malheureuse que maintenant ?
- Moi aussi j'ai pleuré, Barbara. Quand j'ai pensé à ton lit défait, au « baise en ville » de Carlos et à tout ce qu'on a fait ensemble, je suis devenu comme fou. Tout mon désir s'est transformé en une haine d'une violence inouïe.

Barbara se lève, tend la main à Alain et lui dit :

- Viens embrasser ta traînée, après on n'en parlera plus.
- Je ne veux embrasser ni une vieille, ni une traînée, je veux simplement embrasser ma belle traductrice en robe noire...

Et après quelques secondes d'hésitation, il ajoute :

- Tu es toujours aussi craquante et aussi désirable.

Barbara se dirige vers Alain pour l'embrasser. Il tend la main pour l'en empêcher :

- Je suis à toi dans quelques secondes, Barbara, je vais bloquer la poignée de la porte avec une chaise, comme ça personne ne pourra nous déranger.

La porte condamnée, Alain prend Barbara dans ses bras et l'embrasse avec la fougue d'un jeune homme qui a failli tout perdre. Cette femme dont la tristesse s'efface petit à petit ne lui a jamais paru aussi séduisante :

- Je te remercie de ne pas m'avoir largué tout à l'heure après tout ce que je t'ai fait subir. J'ai été vraiment un moins que rien.
- N'en parlons plus.
- J'ai envie de faire l'amour avec toi.
- Ici ?
- Oui et tout de suite... si tu veux encore de moi. J'aimerais que le plaisir efface les larmes de tes yeux rougis.
- Mais on pourrait nous voir.
- Non, ne t'inquiète pas, la porte est bien bloquée.
- Debout, ce n'est pas très confortable.
- Mais qui t'a dit debout ? Les chaises, ça peut aussi servir à ça.

Alain installe la chaise à proximité de la porte de la cuisine, au cas où. Il enlève sa chemise, déboutonne son pantalon, le baisse à ses pieds avec son slip et s'assoit sur la chaise :

- Viens sur moi, Barbara, j'ai envie de sentir à nouveau ta peau contre moi.
- Tu veux que je me déshabille complètement ?
- Non, tu peux garder ton fichu sur la tête.
- Alain, tu deviens presque pervers.

Barbara se déshabille, pose sa longue robe et ses sous-vêtements sur la table de la cuisine et s'approche d'Alain, en chaussures avec des talons assez hauts et son foulard sur la tête. Le spectacle est presque irréel. Il y a quelques minutes, cette femme était en train de pleurer, et maintenant, avec sa tenue, elle enflammerait un régiment au complet. Elle s'adresse à Alain en premier :

- Je suppose que c'est encore à moi de prendre des initiatives.
- Bien sûr, tu m'as prouvé ce matin que tu savais parfaitement maîtriser le plaisir de ton jeune amant.
- Alors, laisse-moi faire, bien que tu ne le mérites pas tout à fait.
- Ne me parle plus de ce qui s'est passé, c'est une erreur de jeunesse. C'est la première fois de ma vie que j'ai fait une telle bêtise.
- Je vais t'offrir mon corps, Alain, caresse-moi partout pendant que je m'occupe de toi.
- Tu n'avais pas besoin de me le demander.

L'excitation accentue la tristesse du regard de Barbara. Elle prend la tête de son amant dans ses mains, l'embrasse avec déchaînement et met tout son corps en action pour exalter son désir. Alain se laisse faire, il décompresse, le choc a été trop fort pour lui. Alors, petit à petit, son esprit peut prendre son envol. Du bout de ses doigts il effleure le corps de Barbara qui réagit par de petits frissons.

Quand Barbara commence à frotter très sensuellement ses seins contre le torse d'Alain, leur excitation commune prend de l'ampleur. Barbara saisit le sexe d'Alain pour le faire pénétrer au plus profond et au plus chaud de son univers de femme. Tous ses sens sont en éveil, l'extrémité de ses seins est de plus en plus dure, son ventre et ses cuisses de plus en plus fermes, son corps de plus en plus chaud.

L'entrée de sa chatte se contracte doucement, aspirant inéluctablement en elle le sexe d'Alain avant de le relâcher. Avec ses mains, Alain caresse amplement les cuisses, les fesses et le creux des reins de cette femme dont il reprend possession du corps. Il rentre dans une sorte de torpeur, le temps semble presque s'arrêter. Il revient à lui, quand le corps de son amante est pris de petits tremblements, quand ses cuisses et ses fesses se durcissent, quand elle lui dit à l'oreille, avec une voix coupable de raccourcir ces instants de rêve :

- Alain chéri, rejoins-moi, je ne pourrai pas résister encore bien longtemps.

Alain serre d'abord Barbara, très fort dans ses bras, puis il lui fait écarter ses cuisses au maximum pour que son membre soit au plus profond de son ventre, là où il veut délivrer ses grands jets de plaisir. Barbara sent cette liqueur la remplir. Elle voudrait prendre possession de la jouissance de son jeune amant, la faire durer. Elle voudrait l'entendre souffler, râler, hurler son plaisir. Elle voudrait le voir jouir jusqu'à l'épuisement, jusqu'au moment où il va s'effondrer sur son épaule, en l'embrassant une dernière fois dans le cou, en lui serrant trop fort une dernière fois ses cuisses. Elle voudrait surtout que ce plaisir ne déclenche pas immédiatement le sien, mais elle n'y parvient pas.

Barbara explose littéralement sur Alain. Elle se jette sur sa bouche comme pour prolonger ce moment si intense, mais bien trop court. Elle voudrait que leurs deux corps qui partagent leurs sensations les plus intimes ne se séparent jamais. Mais, tout à une fin, tout le monde reprend peu à peu ses esprits et arrive le temps de se lever de la chaise et de se rhabiller :

- Tu sais, Alain, je me sens beaucoup mieux maintenant.
- Moi aussi, ma belle traductrice.
- Tu viendras dormir avec moi, cette nuit ?
- Non ! Il n'en est pas question.
- Pourquoi ? Tu as un autre rendez-vous ?
- Oui, pour faire l'amour avec toi toute la nuit, pas pour dormir.
- Tu es bien présomptueux. Tu as intérêt à être en forme et à faire tes preuves. Tu seras jugé sur pièces.

La tristesse de Barbara a maintenant presque complètement disparue. Elle retire son foulard ce qui la rajeunit de dix ans. C'est une très belle femme qui s'apprête à quitter cette cuisine des retrouvailles :

- Viens, dit Barbara, on va retrouver Dora et Carlos. Ils doivent nous attendre et trouver le temps long.
- Sauf si Carlos à trouver le moyen de séduire Dora sur le pouce, lui répond Alain.
- Il en est bien capable.

Alain débloque la porte de la cuisine. En tenant Barbara par l'épaule, Il se dirige vers Carlos qui poursuit son travail comme si de rien n'était :

- Alors, les amoureux, dit Carlos, vous en avez mis un temps pour vous réconcilier ?
- Pourquoi, quelle heure est-il ?

Carlos jette un coup d'œil sur sa montre pendant que la cloche de l'église sonne quatre fois :

- Il est exactement quatre heures, dit Dora. C'était hier à la même heure que Sylvain, le responsable national de mon association, m'a fait remarquer que j'avais oublié d'organiser une soirée banquet après la conférence.
- Et bien, tout est bien qui finit bien, tout a été réglé en vingt-quatre heures, lui répond Carlos.
- En vingt-quatre heures de folies, précise Barbara, le visage soulagé.

Et après quelques secondes d'hésitation :

- En vingt-quatre heures de folies, c'est hélas bien vrai, conclut Alain. Mais avec des dégâts... qui heureusement ne sont plus qu'un mauvais souvenir.

Fin

Copyright © 2006